Dernières chicottes
L’avenir ne m’était pas clair. J’étais en deuxième année au lycée. Mes parents voulaient à tout prix
que je sois comme les autres …
Ma mère Mathilde, ne cessait de me répéter : « ce n’est que grâce à tes études que tu seras comme ton oncle Al. Tu sais combien il tient à toi, ne le déçois jamais ». En ces temps-là, elle assumait aussi le rôle de Papa qui travaillait loin de la ville…
J’aimais mon lycée, pas seulement
parce que les instituteurs enrichissaient nos têtes par ces multiples règles de
français, ces innombrables noms à mémoriser et figures de l’histoire à
saisir ; par ces incalculables et épuisantes équations mais surtout parce
qu’il y avait de de la joie, de l’ambiance, de la cohésion, nos petites folies
aussi…
A cet âge, 13 ans, l'avenir ne veut rien dire. On rêve devenir Michael Jordan et de s’installer à
Miami, jouer au volleyball au Pays de l’ancien révolutionnaire Joao Goulart . Mes rêves étaient multiples, et je ne savais pas lesquels se réaliseraient. Peut-être tous ! Dans l’attente, je m’adonnais à tout.
Ma famille habitait non loin de cet
ancien terrain de basketball et de volleyball de l’allée qui menait à la
paroisse, au lycée que je fréquentais et à d’autres écoles de mon quartier.
J’appartenais à la fois à l’équipe
junior de basket, et celle de volleyball. Avec des potes, Blaise, Samuel
affectueusement appelé Samy, Kiza et les autres, pas si souvent que ça, nous
débutions nos entraînements à la sortie de classe. Notre ardeur était si
intense que nous ne nous rappelions plus de ce soleil accablant, après avoir
jeté nos sacs de classe aux pieds des anneaux. Perdus dans le jeu, nous
oublions alors cette faim de loup après le lycée.
Tout le
monde nous connaissaient. Nous avions un surnom « Stars ».
Lors d'un entrainement en semaine, Kende, le coatch de l’équipe senior avait annoncé qu’un match allait être livré contre les Géants,
une équipe du quartier Don Bosco. Les deux semaines qui ont suivi l'annonce était intenses. La présence et la prestance à l'entrainement étaient les deux voies de "winner" la partie..
(...)
J’hésitais. Dois-je voir Maman pour son autorisation afin d’aller
soutenir l’équipe senior ? Je savais par cœur sa réponse : un GRAND
NON. Avec beaucoup d’ingrédients : « Tu sais que tu dois faire tes
devoirs, combien de fois dois je le répéter ? Me faut-il alors passer par
Oncle Al qui était avec nous à la maison ? Pas sûr que Maman accepte. Mon père,
qui, en plus, ne voulait pas me voir gâcher ma vie par le sport n’était pas là.
Je me promettais de trouver une
formule pour résoudre l’impasse.
Les jours passaient, et je voulais à
tout prix surmonter ma peur et dire à Maman : « mardi je rentrerai
tard car notre équipe senior livrera un match à 14h00 » Mais, je n’y
arrivais pas ! Je ne trouvais pas le courage pour
affronter le regard de ma mère alors qu’au fond de moi, je savais que devais
participer à ce match.
Enfin, le fameux mardi arrive. C’est
le matin, je me lève de bonne heure et me rend au Mont Carmel, mon lycée. Pendant les cours, je ne tiens pas en place. Ma tête fesait l'effort du rejet de la matière du jour tellement elle ne pensait qu'au match de l'après midi. Ce jour là je réalise un exploit, je me fais expulser au cours d'une leçon de géographie. J'avais l’impression que le temps s'était arrêté, ou mieux, que les aiguilles tournaient dans le sens inverse.
Enfin 12H45. Le siffle annonce la
sortie des classes. Précipitamment, je me rends dans la classe de mes potes de
l’équipe, Samy, Blaise et Kiza. Les mobilise : « Nous allons être retard, les
gars ».
Notre seule envie était de quitter cette prison à 10 cellules
avec près de 300 détenus filles et garçons habillés en bleu-blanc.
Sur notre chemin, je demande aux
amis : « Avez-vous demandé la permission ? » Nooooooon
répondent-ils. Blaise, que nous considérons tous comme le leader dit :
-
Ça
ne vaut pas la peine, c’est pour juste quelques heures, allons directement au
Sheraton.
Chose dite, chose faite.
Toute l’équipe doit se réunir à 13h00
au Sheraton, le ngada[1] du président de l’équipe non loin du
terrain. Nous étions à l’heure.
Au fur et à mesure que nous nous approchions du sheraton, des chants, des soupirs, des cris scandaient l'esprit de la rage et de la victoire. Dans le ngada, Kende, s'adressait déjà aux joueurs :
- "Je
compte sur les uns et les autres. Nous devons gagner ce match. Soyez fort au
filet, les contres et les attaques doivent être rapides, les libéros doivent couvrir les zones. IL faut que toute l'équipe de Don Bosco sache qui nous sommes."
Applaudissements et cris-woooooooo- !
Il est 14h00, deux camionnettes se pointent à l'entrée du ngada et tout le monde se presse. Chemin faisant, nous ne nous retenons pas de taquiner
et huer les policiers de la circulation routière qui soûlent les utilisateurs
de la voie routière par la fameuse pratique de massage[2]
.
Arrivés au terrain dans l'enclos de Don Bosco, les joueurs descendent. Il faut s’échauffer avant le match. Mes potes et moi, sommes chargés de garder les
effets des seniors mais aussi de soutenir l’équipe.
Le soleil qui se couchait laissait filtrer ses rayons par les hauts arbres qui entouraient le terrain.
Les échauffements, qui ont débuté il
ya quelques instants, continuent.
15h30 : les officiels sont prêts.
Le match peut commencer. Les dernières mises au point et consignes sont dites.
L’arbitre principal siffle le début.
Samy, Blaise, Kiza et moi-même sommes
excités, nous ne faisons que crier durant tout le match. Le premier set est
remporté par les Géants, l’équipe adverse.
À la première pause, Kende est
furieux, il impose un nouveau système de jeu. Le deuxième set est facilement remporté.
Moins de 20 points.
Pendant que le match continuait et que
la nuit tombait, l’angoisse et la panique me hantaient. Il faisait de plus en plus sombre.
18h30 : j'ai un mix de sensations, entre la victoire de l'équipe qui se profile et la peur de retrouver la maison. Mais je trouvais un assurance personnelle et me disait: "peut être qu’à mon arrivée, Maman sera
chez la voisine". Blaise ne voulait pas rentrer, son grand frère aîné faisait partie de l'équipe.
-
Samy,
Didier, nous devons rentrer, il se fait tard et l’arbitre n’a pas l’air de
donner le dernier coup de sifflet dit Kiza.
-
Je
propose qu’on parte maintenant, répond Samy.
Blaise prend tous les effets de
l’équipe. Mes potes et moi-même sortent. La seule solution était de courir
jusqu’à la maison.
Mille maisons, une maison. Elles sont comptées en millier mille au quartier, mais chacun ne doit passer la nuit que dans une seule, la leur. Je me
sens coupable et sais que mon heure de condamnation est proche.
Finalement, notre clôture. Personne
n’est là. J’hésite à entrer, alors que les minutes s’écoulent, imperturbables. Dans
ma langue, le mot qui décrit l’état second dans lequel j'étais est « Bihamba[3] ».
Je serre mes dents et j’entre.
Près de la porte du salon se tient ma
mère. Elle tient une chicote dans sa main droite et me fixe durement. . Des
coups de fouet m’attendent. Mon cœur bondit de peur!
Elle n’a pas l’habitude de nous taper
dessus et je me dis qu’une des jambes va y rester, j’avance de trois pas et
reculer de sept.
Maman crie, sogea hapa[4].
Pas de temps pour les civiltés, « Bonsoir », etc.
Sa main gauche saisit la mienne, elle
me tire jusqu’au salon où se trouvent réunis mes trois petits frères, mes deux
petites sœurs et mon Oncle Al. Elle ne me lâche pas d’une seconde, et lève sur
moi sa main tenant la chicote.
Bientôt, la branche souple mord mon
dos, mes fesses, mes jambes. La chicote claque encore. Je crie de toutes me
forces en pleurant « Pardon Maman, pardon Maman, sita ongezaka tena »[5]. Elle ne choisit pas d’endroit et chicote fort et dur. Chaque claquement est une question : Comment tu peux quitter l’école à 19h00 ? Tu n’a pas honte ?
Demain je vais voir le préfet pour savoir si les cours vont désormais jusqu’à
19h00 ! Quel exemple tu donne à tes frères ? Et si tu te cassais le
bras ? Où est-ce que la famille va tirer l’argent pour tes soins ?
Mes frères, mes sœurs, mon oncle ne faisaient
qu’assister à la séance de chicote.
Mon
Oncle Al, tente de calmer ma mère, sans succès.
-
Maman
pardonnes lui, il a sa leçon !
Elle
ne s’arrête pas pourtant de chicoter, et de répéter. « Quel irresponsable ! »
Je pleure, à basse puis à haute voix. Ma
douleur est intense, on dirait « Zote
sili bakiya ku Yesu zika ni ishiya ako »[6].
Ce
soir-là, j’ai ma leçon. Rien à manger la
nuit. Même pas droit à la douche alors que la sueur salée coulait sur ma peau
brûlante, dans laquelle la chicote a tracé des vifs sillons de chair
boursouflée.
Exténué,
je vais me coucher avec mon uniforme, et m’endors avec mes souliers.
Didier Mugalihya
Gisenyi_Rwanda,
Janvier 2017-01-29
Contacts :
+243891368372/+243999226159
Mail :
didmugal@gmail.com
[1]
Bistro
[2]
En RDCongo, pratique qui consiste à verser une somme d’argent à l’agent de la circulation
routière quand les papiers du véhicule ne sont pas à jour.
[3]
Peur intense que l’on ressent après avoir commis une faute. Elle se mélange
aussi d’un auto jugement
[4]
Approches-toi
[5]
Je ne recommencerai plus jamais
[6]
Comme pour dire, le reste de fouets que Jésus devraient prendre m’étaient destiné.
Merci bcp pour ton récit, ça me rappel bien des choses.
RépondreSupprimerTon site est génial, je t’encourage en tout cas. D’ont give up.
Féfé